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Jacqueline Dubut et Caroline Aigle

Le mois dernier, je vous avais raconté les exploits de la cosmonaute Russe Valentina Terechkova, à l’occasion du retour de Thomas Pesquet dans la Station Spatiale Internationale (ISS). En cette période de déconfinement progressif, avec, en ligne de mire un été presque normal et durant lequel nous pourrons nous envoler vers des horizons plus ou moins lointains, je tenais à rester dans le domaine aérien et vous présenter deux grandes figures féminines de l’aviation française : Jacqueline Dubut et Caroline Aigle. Elles aussi méritent le qualificatif de pionnières, quand on connait les aptitudes intellectuelles, mentales et physiques nécessaires pour exercer dans le secteur aéronautique, qui plus est, chasse gardée quasi exclusive de la gent masculine.

Jacqueline Dubut est née à Lyon le 21 octobre 1939 dans une famille d’enseignants. Dès l’âge de 17 ans, elle commence à piloter des planeurs en aéroclub. Elle entame des études de lettres (elle obtiendra une Licence) mais voue une grande passion pour l’aviation. Cependant, il y a un obstacle de taille : l’École nationale de l’aviation civile (l’ENAC) n’est pas accessible aux femmes, comme beaucoup d’institutions, à l’époque. Qu’à cela ne tienne, elle passe le concours d’entrée à l’École polytechnique féminine sur les conseils de Jacqueline Auriol, célèbre pilote d’essai de l’époque et détentrice de plusieurs records de vitesse féminin. J. Auriol sera d’ailleurs la première Européenne à franchir le mur du son, le 15 août 1953.

Grâce à ce soutien inattendu, Jacqueline Dubut travaille d’arrache-pied pendant trois ans et termine major de sa promotion ! En 1966, elle obtient un poste d’ingénieur au Ministère des transports, tout en continuant à voler, puis elle le quittera au bout d’un an. Son rêve est de devenir pilote de ligne. Mais ce rêve a un coût : 1 million de francs de l’époque pour effectuer le stage pratique de pilote de ligne et lui permettant, notamment, de voler par tous les temps. Son parcours exceptionnel lui vaut d’obtenir une bourse de la Fondation de la vocation créée par Marcel Bleustein-Blanchet (le père d’Élisabeth Badinter). Le 12 mai 1967, elle obtient la consécration en devenant la première femme pilote professionnelle de première classe. Mais les préjugés restent tenaces puisque Air France rejette sa candidature et Air Inter « consent à l’examiner », pour finalement l’engager comme copilote sur un avion Vickers Viscount, un fleuron de l’aviation commerciale d’après-guerre. À l’époque, la presse relate l’évènement, en affirmant qu’elle est « de cette lignée de femmes courageuses qui font sérieusement un métier d’homme ». Excusez du peu !

Jacqueline Dubut va effectuer près de 3000 heures de vol au sein de la compagnie et deviendra commandant sur des long-courriers. Le talent, la persévérance et, parfois, la chance auront permis à cette jeune femme d’accomplir un rêve que l’on ne pensait réservé qu’aux petits garçons. Elle a permis de faire progressivement ouvrir les portes de l’aviation civile commerciale aux pilotes Françaises. Aujourd’hui, sur les 3600 pilotes que compte Air France, 9 % sont des femmes. Aujourd’hui, Jacqueline Dubut profite d’une retraite bien méritée, tout en inspirant de nombreuses jeunes filles prêtes à prendre leur envol.

Il y a un autre secteur de l’aérien où la place des femmes est encore plus rare : celui de l’Armée de l’air. Si la grande muette revendique environ 16 % de femmes militaires, c’est pourtant l’Armée de l’air qui est la plus féminisée, avec près de 30 % de femmes. En revanche, elle compte moins d’une quinzaine de femmes pilotes de chasse sur un total de 900. On est donc très loin des 9 % de l’aviation civile…

C’est Caroline Aigle qui a ouvert la voie dans les années 90, en devenant la première Française pilote de chasse. Vous me direz qu’avec un tel patronyme, elle ne pouvait être faite que pour voler !

Fille d’un père médecin militaire, Caroline Aigle est née le 12 septembre 1974 à Montauban. Autant dire qu’elle avait un avenir prédestiné. C’est donc en toute logique qu’elle intègre d’abord le lycée militaire de Saint-Cyr (Yvelines) où elle obtient son baccalauréat scientifique avec mention, puis entre en classe préparatoire aux grandes écoles au Prytanée national militaire de la Flèche (Sarthe), l’un des six lycées de la Défense français. La vraie préparation militaire commence en 1994, lorsqu’elle est admise à la prestigieuse École polytechnique (surnommée l’X), située à Palaiseau (Essonne) et où elle effectuera son service militaire au 13e bataillon de chasseurs alpins. Elle allie le savoir intellectuel à la performance physique, puisqu’elle devient championne de France militaire de triathlon et championne du monde par équipe en 1997.

À l’époque, seuls les diplômés masculins avaient le droit de porter le fameux bicorne, symbole de l’institution. Une discrimination contre laquelle Caroline et plusieurs autres étudiantes vont se battre et obtenir gain de cause. Au terme de sa brillante scolarité, la jeune polytechnicienne décide de servir dans l’Armée de l’air où elle décroche, au bout de deux ans, le brevet tant convoité de pilote de chasse, jusque-là réservé uniquement aux hommes. Aucune Française n’avait atteint un tel niveau.

« Moineau », telle qu’on la surnommait, va enchainer les vols sur Alpha Jet puis sur Mirage 2000, accède au grade de commandant d’escadrille en 2005 et reçoit la Médaille d’or de la Défense nationale. Pour beaucoup, cela aurait pu être le couronnement d’une carrière. Mais pour Caroline Aigle, il restait un dernier palier à franchir : aller au-delà de la mésosphère et tutoyer les étoiles. Pour cela, elle va reprendre ses études d’astronomie et apprendre le russe au cas où… L’Agence spatiale européenne la remarque et envisage de la sélectionner comme astronaute. Hélas, on lui diagnostique un mélanome au début de l’année 2007, alors qu’elle est enceinte de son second enfant. Ce cancer fulgurant l’emporte à trente-deux ans, le 21 août 2007, quelques jours après la naissance de son fils. Au lendemain de sa mort, le journal La Provence titrera : « Caroline Aigle était une chevalière du ciel ».

Les hommages posthumes ne manquent pas, avec, entre autres, l’attribution de la Médaille de l’Aéronautique par Nicolas Sarkozy en octobre 2007, l’émission par la Poste d’un timbre à son effigie en 2014, ou encore l’organisation chaque année du « triathlon Caroline Aigle » par l’École polytechnique.

Jacqueline Dubut et Caroline Aigle font partie de ces pionnières qui n’ont pas eu froid aux yeux en choisissant des carrières à haut risque et à hautes responsabilités. Leur courage et leur détermination leur a permis de franchir les nombreux obstacles règlementaires, institutionnels et humains. Elles forceront à jamais le respect et demeurent des exemples pour les générations actuelles et futures.

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