Blog

0

Édith Cresson

Les élections présidentielles en France auront lieu les 10 et 24 avril 2022. Si certains prétendants sont déjà en ordre de bataille, d’autres laissent encore planer le suspense quant à leur entrée en lice dans la course à l’Élysée. Une chose est sûre : on ne peut que se réjouir de la forte proportion, pour cette édition, de candidatures féminines, représentant à peu près toutes les sensibilités de l’échiquier politique actuel.

 Actuellement, on compte vingt-et-une femmes cheffes d’État ou de gouvernement dans le monde, dont onze en Europe, quatre en Asie, deux en Afrique, deux en Océanie et deux dans les Caraïbes. Sans parler des vice-présidentes et des souveraines qui ont souvent un rôle honorifique, sans réel pouvoir de décision… Certains diront que c’est peu, mais force est de constater que leur nombre ne cesse de progresser

 En France, le choix de porter une femme à la fonction suprême, n’a pas encore été fait par les électeurs, et le poste de Premier ministre (nommé par le Président de la République) a quasi systématiquement été « réservé » aux hommes, durant la Cinquième République.

En effet, depuis la création du poste de Premier ministre, le 8 janvier 1959, une seule femme l’a occupé, en la personne d’Édith Cresson. C’était il y a vingt ans déjà !

Édith Campion est née le 27 janvier 1934 à Boulogne-Billancourt. Son père est un haut fonctionnaire et sa mère est issue d’une famille bourgeoise. Elle n’a que 5 ans lorsqu’éclate la Seconde Guerre mondiale et va vivre un début de scolarité très difficile dans un pensionnat en Haute-Savoie, notamment lors des hivers très rudes à l’époque. À la fin de la guerre, elle retourne à Paris, poursuit son éducation dans des institutions privées. C’est durant cette période qu’elle croisera de nombreuses personnalités et amis de ses parents, dont le propre frère du général de Gaulle, Pierre. Son intérêt pour la politique va naître durant ses études supérieures, à l’école de Haut enseignement commercial pour les jeunes filles (HEC-JF qui fusionnera plus tard avec HEC Paris). Elle obtient son doctorat en démographie et se lance dans une carrière d’ingénieure en économie. Dès l’âge de vingt ans, elle est d’abord inspirée par Pierre Mendes France, alors président du Conseil (des ministres), sous la présidence de René Coty, et dont elle apprécie les valeurs humanistes et son engagement dans la résistance durant la guerre. Elle épouse en 1959 Jacques Cresson, cadre supérieur dans l’industrie automobile. De cette union naitront deux filles.

En 1965, elle adhère à un parti nouvellement créé par François Mitterrand, la Convention des institutions républicaines (CIR), où elle est en charge des questions agricoles ; puis rejoindra le Parti socialiste (PS) en 1971. Petit à petit, elle gravit les échelons, devient secrétaire nationale chargée de la Jeunesse et des Sports en 1974 et intègre le comité directeur du PS en 1975. La voilà désormais prête à sauter dans le grand bain du suffrage universel. Malgré un premier échec, de justesse, dans une législative partielle dans la Vienne, en 1975, elle ne se résigne pas et remporte la mairie de Thuré, petite commune près de Châtellerault en 1977. Puis elle enchaîne une série de trois mandats de députée, de 1981 à 1988, et décroche un siège au Parlement européen en 1979. Le cumul des mandats était, jadis, autorisé.

À la suite de la victoire de François Mitterrand, en 1981, le Premier ministre Pierre Mauroy lui confie le portefeuille de l’Agriculture, en cohérence avec ses anciennes fonctions au sein du CIR. Elle devient, à 47 ans, la première femme à occuper ce poste. Sa nomination va créer un tollé chez les agriculteurs qui vont se sentir trahis, méprisés, à l’idée d’être représentés par une femme. Même si elle vient d’un milieu plutôt aisé, elle maitrise certaines notions de la ruralité acquises pendant ses précédents mandats. Lors de certaines manifestations, les messages sur les affiches sont très violents : « On t’espère meilleure au lit qu’au ministère ». Ce à quoi elle répondra, en plaisantant : « Finalement, j’étais bien à l’Agriculture puisque j’avais affaire à des porcs ». Joli sens de la répartie pour une femme qui n’a pas sa langue dans sa poche. Hélas, il ne s’agit que d’un aperçu des nombreuses attaques dont elle va faire l’objet, durant ses dix années passées au gouvernement.

Après deux ans à l’agriculture, elle bascule au Commerce extérieur et au Tourisme, toujours « sous Mauroy ». Elle y restera un peu plus d’un an. Elle est ensuite nommée ministre du Redéploiement industriel et du Commerce extérieur par Laurent Fabius. Elle restera en fonction dix-huit mois. Michel Rocard la choisit pour les Affaires européennes en mai 1988. Elle démissionnera le 2 octobre 1990 à cause de fortes divergences avec Matignon sur la politique européenne à mener. Encore une fois, elle marque sa détermination, là où certains y voient du jusqu’au-boutisme. Tous les observateurs de l’époque ont vu dans cette décision la fin de sa carrière politique, d’autant plus qu’elle choisit de se reconvertir dans le privé, en prenant la direction d’une filiale du groupe Schneider. La parenthèse sera de courte durée. Après la démission de M. Rocard et de son gouvernement, le 15 mai 1991, François Mitterrand hésite entre Robert Badinter, Roland Dumas et, Édith Cresson. Elle sera donc choisie, mais contre toute attente, elle refuse, dans un premier temps, car elle aurait préféré le Ministère de l’Économie, des Finances, du Budget et du Commerce extérieur. Elle accepte finalement le poste et entre ainsi dans l’histoire comme étant la première Première ministre de la République. Et à ce jour, elle reste la seule. Son gouvernement compte six femmes et trente-neuf hommes, la parité n’étant pas du tout une préoccupation politique, à l’époque.

Après les deux premiers mois « d’état de grâce », dont bénéficie généralement chaque gouvernement fraîchement nommé, la popularité d’Édith Cresson va dégringoler. Critiquée au sein même de son propre camp, sa méthode autoritaire, son langage direct et souvent maladroit dérangent. Elle n’hésite pas à tacler les milieux économiques lorsqu’elle déclare « la bourse, j’en ai rien à cirer ». Lorsqu’elle compare les Japonais à des « fourmis jaunes », Éric Raoult, alors dans l’opposition, la compare à une « femme de poissonnier ». Un exemple parmi d’autres du machisme politique dont elle est régulièrement la cible. Sa réponse : « les femmes sont des hommes comme des autres ». Les médias, non plus, ne sont pas tendres avec elle. L’émission satirique Bébête show lui a concocté une marionnette présentée comme une « lèche-botte du président ». Les associations féministes jugent cette caricature dégradante et les critiques d’Édith Cresson envers le programme sont considérées comme une atteinte à la liberté d’expression. Le Canard enchaîné s’en donne aussi à cœur joie dans ses titres, surfant parfois avec le mauvais goût, avec, par exemple, « Cresson : pas un radis ! », lorsque Matignon a refusé de financer un projet de politique sociale. Malgré le soutien répété du président de la République, les attaques ne cessent pas et la cheffe du gouvernement atteint un record d’impopularité (76 % de défiance de la part des Français). Elle sera remplacée par Pierre Bérégovoy le 2 avril 1992, après seulement dix mois d’exercice. Là aussi, elle marque l’histoire par cette brièveté de mandat.  Il est difficile de faire un bilan de l’action politique d’Édith Cresson durant son court passage à l’hôtel de Matignon. Citons, entre autres, la signature du traité de Maastricht instituant l’Union européenne, la délocalisation de l’ENA à Strasbourg, la réduction de 12 à 10 mois du service militaire. On peut tout même se demander si elle aurait subi le même traitement si elle avait été un homme. La réponse se trouve sans doute dans les parcours de ses prédécesseurs et successeurs.

Européenne convaincue, elle occupera le poste de commissaire européenne, chargée de la science, de la recherche et du développement de 1994 à 1999, et conclura sa carrière politique en tant qu’adjointe au maire de Châtellerault en 2008.

Elle préside depuis 2001 la Fondation pour les écoles de la 2e chance (E2C) dont le but est de lutter contre le décrochage scolaire en apportant un soutien aux populations fragilisées qui font face à des difficultés sociales. Nul doute qu’elle suivra avec attention le résultat du scrutin du printemps prochain.

Comments ( 0 )

    Leave A Comment

    Your email address will not be published. Required fields are marked *